Avant toute chose, sachez que, malgré le titre de cet article, je ne suis pas « contre » l’idée du revenu de base universel. Loin de moi, d’ailleurs, l’idée d’être « contre » quoi que ce soit, persuadé que le monde solidaire nouveau se crée sur l’enthousiasme de chacun. Si cette idée vous semble bonne, c’est certainement parce que vous y percevez des réponses positives face aux difficultés que vous diagnostiquez dans le fonctionnement de notre société. Dès lors, tant mieux : partageons, dialoguons, créons !
Si je me permets d’écrire sur le sujet, ça ne part pas de rien. Je me questionne activement, depuis longtemps, face aux disparités que notre société connait. Sans m’arrêter au constat que tout le monde peut faire, à savoir qu’il existe un grand écart de pouvoir d’achat, ou de pouvoir tout court, entre les plus riches et les plus pauvres d’entre nous, mon expérience personnelle m’a amené à étudier plus particulièrement les dynamiques psychologiques en jeu.
Un premier point requiert notre vigilance face à l’émergence « éventuelle » d’une dérive totalitaire généralisée. Ne soyons pas dupes du fait qu’un revenu de base universel accordé par l’Etat est une arme redoutable pour imposer, par exemple, un régime de crédit social à la chinoise. Ce revenu de base sera-t-il toujours totalement inconditionnel, quelle que soit la position de chacun face aux grandes questions de société ? Question cruciale ! Il sera si simple de faire chanter ceux qui ne rentrent pas dans le moule. Il sera si simple de désigner comme mauvais citoyens ceux d’entre nous qui « n’écoutent pas le clairon qui sonne », comme dirait Brassens, et de les priver de ce revenu. Conservons cette vigilance, tout simplement.
Outre ce point, je suis surpris de n’avoir pas encore trouvé d’avertissement en provenance d’observateurs aguerris à propos des dynamiques psychologiques humaines. J’ai souvent lu ou entendu qu’un revenu de base universel « permettrait à chacun de pouvoir diminuer son temps de travail, augmenter son temps de loisir, se consacrer à des activités choisies, s’éduquer, se cultiver, se déstresser face au manque ». C’est un bel idéal, mais c’est aussi bien mal connaitre les énergies en jeu.
Observons simplement : recevoir un revenu sans rien faire, c’est recevoir du blé sans cultiver les champs. Ce qui est chouette, j’avoue ! Cela cultive au moins une chose : notre habitude de déléguer, toujours plus loin, toujours plus profondément, notre pouvoir à des instances extérieures, pensant acheter notre sécurité. Ce piège, mille fois tendu sous nos pas et pourtant mille fois emprunté, mérite aujourd’hui de devenir conscient. Une société plus fraternelle se bâtira sur des individualités souveraines, c’est-à-dire insoumises à toute forme d’autorité extérieure, mais aussi individuellement responsables du bienêtre de tous. Or, de quoi nous rendrions-nous (encore plus) dépendants si un tel revenu de base devait voir le jour maintenant ? De ceux qui détiennent la richesse et non de ceux qui la produisent réellement, c’est-à-dire actuellement essentiellement les multinationales et les grands cartels financiers. Est-ce bien cela que nous désirons ? Moi pas.
D’autre part encore, croyez-vous que, parce qu’on vous offrirait une rente, vous consacreriez spontanément votre de temps ainsi libéré à des activités plus créatives, plus solidaires, plus lumineuses, plus épanouissantes ? Grand bien vous fasse ! Si vous le pensez, essayez. Mon expérience me pousse à admettre qu’il existe des étapes de maturation dans le psychisme humain, et que l’espace qu’on peut nommer « la créativité » ou « la bienveillance », ou encore « la joie », n’est pas accessible par un surcroit de temps, mais par un parcours de connaissance de soi et de travail sur ce qui nous en sépare : nos peurs profondes.
Le fait est que, sur une rente, la grande majorité d’entre nous ne ferait qu’entretenir ses programmes de compensation psychologique et mobiliserait de moins en moins son action, et de plus en plus sa dépendance et son oisiveté. L’oisiveté qui n’est pas, contrairement à ce qu’on s’imagine, la porte vers la créativité. Elle est bien plus surement la porte vers une dépendance accrue en « l’extérieur », parce que nous devons la combler… bien souvent avec du vide, offert à outrance par notre société « connectée ».
Ceci dit, les phénomènes que je décris ne se produiraient pas uniquement s’il y avait un revenu de base universel. Cela se produit déjà, tout le temps. Le revenu de base accentuerait simplement cette réalité, sans doute encore un peu impalpable pour la plupart d’entre nous, raison pour laquelle j’écris. Peut-être nous faudra-t-il l’essayer quand même, ce revenu de base, pour vérifier les hypothèses que je pose ici. Là où il y a de l’enthousiasme, il y a des aventures à vivre, et pourquoi pas celle-là, pour ceux qui s’enthousiasment à cette idée. Ce sera un parcours de conscientisation, de toute façon.
Mon propos n’est pas de balayer tous les côtés positifs qu’on reconnait généralement au revenu de base universel. À côté de ces chaussetrappes que j’énumère, je reconnais volontiers que la plupart des arguments en sa faveur sont bien sûr fondés et intéressants, mais ils résonnent pour moi comme dans une boite fermée, étroite, tant nous avons le nez dans le guidon et essayons de panser les failles d’un système qui, globalement, s’effrite. Cette idée de revenu de base fait pour moi partie d’un ancien monde. Il serait en effet une plus-value si nous voulions améliorer le confort et la pseudo-justice de notre bergerie, sous le contrôle de nos bergers bien-aimés. Pour ceux qui souhaitent dès maintenant quitter la bergerie et accoster sur des rivages totalement nouveaux, cette question, voire ce combat, deviennent obsolètes.
Comme il n’est pas très productif de critiquer sans proposer, voici l’alternative que je suggère : les merveilles ! Avec cette manière de mettre en commun notre énergie et notre créativité au service de tous, dans une oeuvre collective, il n’est plus question de manque d’argent, ni de travail, ni de l’utilité d’un chômage ou d’une solidarité collective qui se substituerait fallacieusement à la solidarité d’un coeur humain. Si le partage de cette perspective vous intéresse, je la développe dans un autre article : Les communes merveilleuses.
Si vous aussi êtes habités par l’envie d’avancer ensemble, ne venez pas débattre avec moi. Le débat nous pousse à dépenser de l’énergie pour avoir raison et prouver à l’autre qu’il a tort. Je vous invite par contre au dialogue, qui permet de partager son point de vue sans avoir besoin de le défendre, afin d’élargir joyeusement l’angle de vue de chaque ami cocréateur que nous rencontrons. Le dialogue nous offre l’opportunité de quitter la violence, de créer la paix et le respect, d’élargir nos horizons et de décoller nos oeillères respectives !
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