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Après de nombreux dialogues avec de vifs esprits – certains se reconnaîtront, merci à eux ! – j’ai l’impulsion de mettre le focus, avec le plus de clarté dont je suis capable aujourd’hui, sur une prise de conscience qui paraîtra évidente, voire enfantine, à certains, mais dont la réalité semble tarder à rencontrer notre intelligence collective. Je parle du phénomène de la croyance, qu’il me tient à coeur de décoder avec vous.

Qui d’entre nous ne se reconnaîtra pas dans cette habitude, tellement ancrée dans l’intimité de notre fonctionnement « humain », de juger toute nouvelle information reçue en lui apposant d’office, et de manière à peu près binaire, l’étiquette « vrai » ou « faux » ?

Un petit test pour nous en convaincre, s’il le fallait encore : prenons au hasard une affirmation invérifiable par notre propre expérience. Si nous manquons d’inspiration, tournons-nous simplement vers l’actualité, qui en regorge. Immédiatement au contact de cette affirmation, et sans presque nous en apercevoir, notre censeur intérieur y appose son étiquette : cette information est jugée fiable ou farfelue, et nous n’avons plus qu’à trancher. Elle ira dans le panier nommé « réalité » ou dans celui nommé « délire ». Qui a tranché en nous ? Sur base de quoi ? Puisque nous avons postulé que nous ne pouvions vérifier l’information par nous-mêmes, eh bien alors, ce sera forcément sur base de notre conditionnement. Etes-vous d’accord ? Ne sommes-nous pas conditionnés à donner notre confiance à tel canal d’information, tel expert, tel média, tel scientifique, tel dogme ?

Il n’y a rien de mal à ça, et il y a même une belle maturité à l’oeuvre, dans la recherche de discernement, chez ceux qui se donnent l’hygiène d’esprit de chercher différentes sources, de faire des recoupements, de mener leur propre enquête.

Mais, même à ce stade, certainement plus raffiné que celui de se laisser hypnotiser par le prêt-à-penser, nous sommes encore soumis à un doute « raisonnable » – avons-nous la sincérité de l’admettre ? – puisque nous devons encore « nous fier », c’est-à-dire faire confiance, à des sources extérieures à nous.

Soit. Ce n’est toujours ici que de l’observation. Ce que je viens d’écrire ne contient aucun parti pris. Pourtant, certains lecteurs sont-ils peut-être déjà entrain de rassembler des arguments « pour » ou « contre » ce qu’ils sont entrain de lire. Étrange manie, n’est-ce pas ? Vous êtes-vous surpris dans cette posture ?

Que cela va-t-il apporter de séparer la réalité entre « vrai » et « faux », si ce n’est créer face à soi des oppositions et des opposants, autrement dit propager la guerre ? A chaque instant, nous créons en nous deux camps : celui des bons, dont nous faisons assurément partie, et celui des mauvais, qu’il s’agit de combattre… si à tout le moins nous sommes un peu courageux.

Malheureusement, le courage ne préserve pas de la stupidité. On peut être courageux et con à la fois. Con de rester dans ce mode « combat » alors qu’il en existe un autre, accessible, et bien plus enviable – du moins pour moi, et ça c’est une opinion. C’est cet autre mode de préhension choses que je vais, une fois encore, tenter de décrire ici.

Il y a plusieurs niveaux de positionnement de soi dans la réalité. Nous tournons, la plupart du temps si nous n’y prenons garde, dans le programme que j’appelle celui de la « croyance », c’est-à-dire en laissant « l’extérieur » nous dicter la marche à suivre. Dans cet état de maturité, nous ne pouvons que constater que nous sommes les proies faciles de tous les manipulateurs peu scrupuleux. Pire, nous les attirons pour nous donner l’opportunité de confirmer notre structure psychique personnelle. Ne me croyez pas, certainement pas – ce serait con. Vérifiez-le pour vous-mêmes, si ça vous intéresse. Moi, ça me passionne. C’est mon expérience et, malheureusement, aucune expérience ne peut être injectée à quiconque, contrairement aux croyances. L’expérience ne peut qu’être évoquée. Se reconnaissent alors, par cette évocation, ceux qui l’ont faite. L’évocation n’est pas l’expérience, comme la carte n’est pas le territoire. C’est tout bête ce que j’écris.

Pourtant, combien de croyances, c’est-à-dire de données non expérimentées, guident nos actes dans nos vies ? Pourquoi faisons-nous ceci ou cela ? Si nous sommes sincères, nous ne pouvons que constater que nos pensées et nos actes sont en majorité les conséquences de nos croyances, dictées par des « autorités » extérieures. Avons-nous choisi nos croyances ? Que la réponse soit « oui » ou « non » ne change que peu de chose. La question est plutôt : pourquoi vouloir s’y attacher, s’y identifier ? Personne ne nous oblige à ça ! Pourquoi continuer à choisir de nous maintenir dans cette prison ?

Il existe un monde, au-delà de la croyance, qui est le monde du choix libre. Seul semble pouvoir y goûter celui qui lâche, volontairement et consciemment, ce besoin archaïque de rejeter une partie de la réalité afin de confirmer le bien fondé de ses œillères.

Dans ce monde du choix libre, nous ne perdons rien de nos opinions, de nos valeurs, de nos idéaux, ni de notre implication dans le concret. Nous ne perdons pas non plus la force de dire “non” quand c’est nécessaire. Notre action devient au contraire bien plus percutante, parce que non polluée par nos vieux contentieux personnels. Nous sommes, à cet endroit, simplement capables de tout entendre, de tout admettre comme possible, et d’écouter chacun jusqu’au fond de son propre raisonnement, sans jamais qu’émerge le besoin de le juger. Nous voulons savoir COMMENT les choses sont, et pas SI elles sont vraies ou fausses.

Si « les gens » ont une opinion, elle est toujours le fruit d’une longue histoire. Et cette histoire, si on s’y intéresse, est toujours passionnante. Comment untel peut-il penser ceci, ou défendre tel point de vue, tellement différent du mien ? Le « croyant », qui défend sa tour, « son monde », arrêtera son jugement avant même d’avoir franchi le seuil de la rencontre avec l’autre : « Il faut être con pour penser ceci ou cela ! ». L’observateur curieux, l’être ouvert, le vrai scientifique se demandera quant à lui plutôt : « D’où me parle-t-il ? Depuis quel lieu intérieur ? Arriverai-je à l’y rejoindre pour le comprendre ? Quelle souffrance faut-il avoir enduré, éventuellement, pour réagir comme ça ? »

Croire est un non choix. Dès le moment où je crois, je ne choisis pas ma vie. Choisir la vie que je veux mener, libre de croyances, mais fort de mon expérience, de mes inspirations, de mes intuitions et de ma foi – c’est autre chose – n’est possible que lorsque je suis capable de me situer au-delà du mécanisme de la croyance, qui me pousse à m’accrocher à une vision du monde partisane, proposée par d’autres.

En attendant, la bonne nouvelle, c’est qu’il n’est même pas nécessaire de rejeter ces « croyances » qui sont les briques constitutives de notre personnalité. Nous n’avons pas à nous battre contre elles dans l’espoir de nous en dégager. Il suffit d’apprendre à voler juste au-dessus. Nous ne sommes pas « que » notre personnalité. Notre vision n’a qu’à s’élargir un peu au-delà, et la guerre perpétuelle que nous menons contre les autres et « ce qui devrait être » a une chance de cesser.

Pourquoi je situe le besoin de juger sur le même plan que celui des croyances ? Parce que celui qui décide de croire en se préservant de tout jugement appelle modestement sa croyance « hypothèse ». Une hypothèse n’a pas à être défendue à coups d’arguments, puisqu’elle peut seulement se vérifier par l’expérience.

 

Je peux aussi donner la même vision dans un autre vocabulaire, qui me parle bien : croire une chose plutôt qu’une autre, alors que nous n’en avons pas fait l’expérience, revient à décider de nous clouer en un lieu précis de la quatrième dimension de notre être. Nous devenons donc incapables de mouvement dans cette quatrième dimension, raison pour laquelle nous ne la percevons plus. En réalité, nous sommes bien en mesure de la voir, mais nous ne pouvons plus nous en rendre compte, parce qu’elle ne bouge plus dans notre perception. Exactement comme nous perdons la perception de la troisième dimension dès que nous arrêtons de nous déplacer en son sein. Elle nous parait alors aussi plane qu’un tableau. Il faut du mouvement dans une dimension pour pouvoir la percevoir.

Quand nous nous libérons du besoin de croire, et donc de juger la moitié du monde en laquelle nous avons décidé de ne pas croire, nous nous rendons compte que nous pouvons nous déplacer dans cette quatrième dimension. Et ce déplacement nous permet de rendre réellement visite au point de vue de « l’autre ». Nous avons alors bel et bien acquis un degré de liberté supplémentaire, une quatrième direction dans laquelle notre conscience peut se mouvoir.

Et il existe même une cinquième direction dont je pourrais témoigner, mais ce n’est pas l’objet de cet article.

La question de croire ou ne pas croire est caduque, parce qu’elle n’a pas à être posée, dès le moment où on veut élargir nos possibilités de perception. Croire est aussi insensé que ne pas croire. C’est ce manque de maturité qui nous laisse sans défense face à toute manipulation. Toute l’énergie que nous mettons à défendre cette structure personnelle qui se mord la queue pourrait être utilisée à créer la vie que nous voulons vraiment et à y faire une place pour chacune et chacun. Si nous pouvions oser lâcher notre besoin de choisir et défendre des croyances, au profit de la possibilité de choisir ce que nous voulons vraiment être et vivre, notre monde pourrait enfin commencer à devenir cette oasis de paix dont nous rêvons tous.