Une autre manière de le dire :
On n’est capable de distinguer que ce que l’on peut considérer comme possible.
Ou encore :
On voit ce que l’on veut voir, on ne voit pas ce que l’on ne veut pas voir.
Je l’ai déjà fait et je n’aurai de cesse de le refaire : inviter à un certain regard qui se déploie au-delà du monde du jugement et du parti pris.
Je propose aujourd’hui un petit exercice pour automesurer votre « ouverture d’esprit » et, une fois n’est pas coutume, nous allons nous servir d’un sujet d’actualité.
Etes-vous un « anti-complot » – entendons par là que vous pensez que les intentions réelles de ceux qui vous dirigent ou vous informent sont clairement exprimées, qu’ils ne vous veulent que du bien, et qu’ils n’ont aucun agenda caché ?
Ou êtes-vous un « pro-complot » – entendons par là que vous pensez que les intentions réelles de ceux qui vous dirigent ou vous informent sont souvent ou toujours dissimulées, qu’ils ne vous veulent pas que du bien, et qu’ils ont un agenda caché ?
Je le dis tout de suite, je ne perdrai pas mon temps à débattre de ces définitions. Je simplifie à outrance pour rendre simples les règles du petit jeu du jour. Votre point de vue est forcément bien plus nuancé, mais pas d’inquiétude ! Vous allez voir que ce n’est pas là que ça se joue.
Alors, voyons. Que vous ayez choisi un camp ou l’autre, posez-vous maintenant la question suivante, en toute sincérité. De toute façon, vous serez votre seul juge. Si vous faites partie de ceux qui n’ont pas choisi de camp parce qu’ils ne veulent pas être mis dans une case – je vous comprends – jouez quand même sur base de vos croyances, quelles qu’elles soient.
Est-ce que je suis capable, de manière complètement sincère bien sûr, de considérer l’hypothèse opposée à la mienne comme TOUT-À-FAIT possible, d’admettre que je me suis trompé, et de changer de camp en un seul instant, en toute tranquillité ?
« En toute tranquillité » c’est presque impossible, parce que changer soudain de point de vue crée toujours un petit tsunami intérieur. Mais tentez-le, justement. Allez jusqu’à ressentir ce petit tsunami, ce vertige, cette perte d’équilibre.
Alors, si vous avez de la chance, vous verrez peut-être émerger une troisième, et même une quatrième possibilités, qui sont celles-ci :
Vous êtes un anti-complot braqué, un pro-complot braqué, un anti-complot ouvert ou un pro-complot ouvert. La question n’est plus de vous définir par l’appartenance à un camp à l’exclusion de l’autre, mais de simplement reconnaitre votre point de vue pour ce qu’il est : un point de vue. Notez que l’exercice ne vous demande pas de quitter votre point de vue initial pour aller vous accrocher à l’autre, il démontre seulement votre plasticité d’esprit, cette capacité à vous mouvoir jusque dans le regard de l’autre, sans besoin de le juger.
Votre incapacité à vous mouvoir réellement dans le regard de l’autre tient au jugement. Vous n’admettez pas le regard de l’autre parce que vous lui prêtez vos propres intentions, et ne vous intéressez pas à l’histoire, son histoire, qui l’a mené à développer ce regard.
« Il faut être con pour avoir ce point de vue ». Ce jugement vous rendra toujours incapable de cette flexibilité intérieure. Vous resterez braqué.
« Je suis curieux de comprendre et de ressentir toutes les raisons, tout le vécu qui mènent à ce point de vue. » Ce non jugement, allié à la curiosité, est votre véhicule pour parcourir cette distance qui vous sépare de l’autre, et de votre propre capacité à élargir votre regard sur la vie et le réel.
Lors de ce déplacement, n’interprétez rien ! Si des hypothèses quant à la construction du point de vue de l’autre vous viennent à l’esprit, suivez-les, toujours sans juger. Si, en chemin, vous vous dites : « Ok, je comprends, il a vécu ça, donc il a développé ce point de vue… mais c’est con. Je n’aurais pas fait comme ça, moi ! » Hop ! vous retombez dans la dimension « braquée » de vous-même. Vous vous êtes perdu en chemin. Ce n’est pas grave, mais si vous ne le réalisez pas, votre tentative suivante ne sera pas plus fructueuse. Quand l’envie de juger se représente, opposez-lui à nouveau votre curiosité : « J’aimerais vraiment comprendre ce qui s’est joué en lui pour qu’il réagisse comme ça à son propre vécu, alors que moi je n’aurais pas fait comme ça si j’avais traversé ce vécu-là. »
Bon, pour tous ceux qui voudraient nous ramener dans le débat contradictoire à la suite de la lecture de cet article, il faudra convenir du fait qu’ils n’ont pas été touchés par sa visée. Pas grave. Merci déjà d’avoir tenté, il y aura d’autres occasions. Prenez votre ticket pour le prochain tour.
A ceux qui ont réussi ce déplacement, j’aime faire remarquer qu’il n’a été opéré dans aucune des trois dimensions habituelles, et qu’on peut dès lors parler d’un déplacement dans une quatrième dimension. Bien sûr, pas une quatrième dimension physique, mais une dimension intérieure.
Alors, les curieux se demandent sûrement : « Waw ! S’il y en a quatre, alors il y en a peut-être d’autres encore ? » Je peux en tout cas témoigner d’une cinquième. Pour les suivantes, ça sort du champ de mon expérience.
Pour vous mouvoir dans cette quatrième dimension intérieure, il faut apprendre à desserrer vos mains qui s’agrippent à sa trame. Elles s’y agrippent, bien sûr, par peur. Il faut donc du courage, celui de tout remettre en question – même si ça donne le vertige – l’envie d’arrêter de juger, et la curiosité d’explorer une nouvelle dimension.
Je me demande souvent pourquoi tout le monde ne le fait pas spontanément, puisque s’agripper au jugement mène inéluctablement à la guerre, avec soi, avec les autres. Et pourtant, qui parmi nous souhaite une vie de guerre ?
Je crois que c’est là tout l’apparent paradoxe de ce qu’on appelle notre personnalité : nous préférons la guerre tant qu’elle est moins terrible que notre peur de mourir. Faire diminuer en soi la peur de mourir nous rend moins crispés sur nos jugements. C’est le chemin qui attend tous les curieux qui voudraient voir ce que peut offrir la vie au-delà du masque grimaçant de la mort, qui agit sur chacun de nous comme le gardien des portes de nos propres perceptions, qui sont possiblement bien plus vastes que ce qu’on peut croire.
Désolé si vous m’avez perdu en route. C’est que je ne suis pas encore capable de témoigner de cette réalité avec une clarté suffisante pour me faire comprendre par chacun. A vrai dire, si j’écris, c’est pour m’y exercer peu à peu.
Bonne journée à vous qui m’avez lu jusqu’ici !
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